Voyage épique

LE LIVRE DE KELLS Un chef-d’œuvre de l’enluminure médiévale

( Tageblatt, 19/12/2020)

Récemment paru aux prestigieuses éditions Citadelles et Mazenod, « Le Livre de Kells » nous dévoile, dans un grand format relié sous jaquette, richement illustré et commenté, l’un des plus remarquables vestiges de l’art religieux médiéval, le « Codex Cennanensis ». 
À une époque, la nôtre, où le livre est l’objet d’enjeux quantitatifs vertigineux, époque qui tend à voir s’étioler l’idée de qualité, ce bel opus nous transporte plus de mille ans en arrière, dans l’intimité éblouissante d’un ouvrage d’exception, fruit unique d’artistes anonymes, porté par la grâce de leur art.


Ses dimensions généreuses (33cm par 25, soit celles du Codex lui-même), les 300 illustrations et reproductions, servies par des notices abondantes, révèlent l’immense passion de l’auteur pour ce livre légendaire dont il est le spécialiste incontesté : Bernard Meehan a été pendant longtemps Directeur de la conservation des manuscrits au Trinity College de Dublin, là même où « Le Livre de Kells » est catalogué sous la référence « MS 58 ».

S’immerger dans ce livre, c’est s’engager dans un périple de douze siècles, depuis les jours incertains où des moines copistes, dans un monastère irlandais, ont entrepris la reproduction lente et somptueusement enluminée des Quatre Évangiles. Voyage, au gré des reproductions de grande qualité, dans le détail des enluminures, quand l’admirable patience de moines épuisant leur rétine au labeur de l’encre et des pigments venait sublimer les textes religieux.

Voyage épique dans l’histoire longue et mouvementée de cet objet d’exception qui, après avoir été volé, mutilé, enterré dans un fossé, jouit aujourd’hui d’une attentive et paisible retraite à la bibliothèque du Trinity College.

Bien qu’ayant traversé le temps sans perdre, ou bien peu, de son éclat, ce trésor reste vulnérable : sa reliure n’est manipulée que par des mains expertes, et les opérations de reproduction photographiques des folios se font au moyen de soufflets d’air comprimé qui tournent les pages avec une extrême délicatesse.

Il se dit de certaines icônes orthodoxes qu’elles sont « acheiropoiètes » : trop belles pour avoir été peintes de la main de l’homme.

Présomption de divinité qui vaut également pour « Le Livre de Kells ». En parcourant l’ouvrage d’un regard profane, l’émotion esthétique vous renvoie tantôt à Giotto, tantôt à Klimt, à l’Art nouveau, à Hundertwasser…

Troublant pouvoir d’inspiration bien détaché de son intention médiévale et monastique. Un beau et rare travail éditorial, qui sert magnifiquement la céleste exception du « Livre de Kells ».

Jean-Jacques Valès

Laisser un commentaire